Résistance...

Quelles sont les forces à l'oeuvre sous la surface du développement des sociétés humaines ?
[...] On peut tenter de dégager les causes profondes de la résistance que [des] sociétés opposent souvent au développement.
Ce sont d'abord la tendance de la plupart des sociétés dites primitives à préférer l'unité aux conflits internes [...]
Quand les peuples de l'intérieur de la Nouvelle-Guinée apprirent des missionnaires à jouer au football, ils adoptèrent ce jeu avec enthousiasme. Mais, au lieu de chercher la victoire d'un des deux camps, ils multipliaient les parties jusqu'à ce que les victoires et les défaites de chaque camp s'équilibrent. Le jeu s'achève non pas comme chez nous, quand il y a un vainqueur, mais quand on est assuré qu'il n'y aura pas de perdant. Page 84. 
[...] Presque toutes les sociétés dites primitives rejettent l'idée d'un vote pris à la majorité des voix. Elles tiennent la cohésion sociale et la bonne entente au sein du groupe pour préférables à toute innovation. La question litigieuse est donc renvoyée autant de fois qu'il est nécessaire pour qu'on parvienne à une décision unanime. Parfois, des combats simulés précèdent les délibérations. On vide ainsi de vieilles querelles et on passe seulement au vote lorsque le groupe, rafraîchi et rénové, a réalisé en son sein les conditions d'une indispensable unanimité. Page 84. 
En second lieu, le respect qu'elles manifestent envers les forces naturelles [...]. Le développement suppose que l'on fasse passer la culture avant la nature, et cette priorité donnée à la culture n'est presque jamais admise sous cette forme, sauf par les civilisations industrielles.
Si de misérables communautés indigènes d'Amérique du Nord et d'Australie ont longtemps refusé, refusent toujours dans certains cas, de céder des territoires moyennant des indemnités parfois énormes, c'est, au témoignage même des intéressés, parce qu'ils voient dans le sol ancestral une "mère". Page 86.
[...] Les Indiens Menomini de la région des Grands Lacs en Amérique du Nord, bien que parfaitement au courant des techniques agricoles de leurs voisins Iroquois, se refusaient à les appliquer à la production de riz sauvage, leur aliment de base, pourtant très propre à être cultivé, pour la raison qu'il leur était interdit de "blesser leur mère la terre". Page 86.
Enfin, leur répugnance à s'engager dans un devenir historique. [...] Les sociétés dites primitives, nous apparaissent telles, surtout, parce qu'elles sont conçues par leurs membres pour durer. Leur ouverture sur l'extérieur est très réduite, ce que nous appelons en français "l'esprit de clocher" les domine. En revanche, leur structure sociale interne a une trame plus serrée, un décor plus riche que celle des civilisations complexes. Aussi, des sociétés de très bas niveau technique et économique peuvent éprouver un sentiment de bien-être et de plénitude : chacune estime offrir à ses membres la seule vie qui mérite d'être vécue.

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