Yuval Noah Harariensis - Episode 1...

Petit exercice critique de (quelques) critiques du fameux livre Sapiens, une brève histoire de l'humanité de Yuval Noah Harari...
Je classe cet essai (avec son second opus Homo Deus) parmi les meilleurs (disons les 20) qu'il m'ait été donné de lire.
Cherchant à me rassurer sur la justesse de cette impression, je suis allé voir un peu quels sont les arguments de ceux qui ne partagent pas cet avis.
Ce blog est né du rejet des travers (quasi) systématiques du web : conformisme, sectarisme, agressivité, diffamation, etc. Les critiques qui suivent ne font hélas, pour la plupart, que confirmer ce lieu commun...

Cas #1 - La critique idéologique...

Lorsqu'on se rend sur blogs.mediapart.fr, on s'attend à un discours, une vision, "de gauche", anti-capitaliste. Extraits...
Par certains aspects, le livre, en ce qui concerne les périodes moderne et contemporaine, est un concentré d'idéologie libérale.
[...] Harari attribue aux mythes, aux religions, aux idéologies un rôle de mise en coopération des humains. Mais évoque-t-il parfois l'intervention active de couches sociales dominantes dans l'élaboration de ces mythes, religions et idéologies pour perpétuer leur domination ? En fait, jamais. La notion de domination d'une couche sociale sur d'autres dans les sociétés humaines au cours de l'histoire semble lui être étrangère.
[...] Lorsqu'il [Harari] explique que la conquête majeure de la révolution scientifique des années 1500 en Europe– contrairement aux dogmes religieux qui affirment tout connaître du réel – a été la reconnaissance de l'ignorance : il paraphrase là sans le savoir des analyses d'Engels reprises par Lénine dans « Matérialisme et empiriocriticisme ».
La sections suivantes sont à l'avenant avec un retour quasi systématique à l'idéologie marxisteSi l'on doutait de l'impartialité de cet article présenté comme "une revue critique du livre", les choses sont désormais on ne peut plus claires. Le parti pris est clairement assumé et l'auteur ne s'en cache pas. Il nous dit haut et fort : "Ne lisez pas ce livre inutile et mensonger. Toute la vérité est dans Marx, Engels et Lénine".
L'auteur pourrait se flatter d'être cité par Harari:
Comme les autres religions, le communisme a aussi ses saintes écritures et ses livres prophétiques. [...] Il avait ses théologiens adeptes de la dialectique marxiste, et chaque unité de l'armée soviétique avait son aumônier, le "commissaire politique", qui surveillait la piété des soldats et des officiers. [...] On attendait de lui [le communiste fervent] qu'il propageât l'évangile de Marx et de Lénine, fût-ce au prix de sa vie. Page 268.
On pourrait objecter que la méthode est peut-être contestable mais la critique est fondée. Soit. Entrons dans son jeu un instant...

Extrait de l'introduction de l'article...

[...] Par certains aspects, le livre, en ce qui concerne les périodes moderne et contemporaine, est un concentré d'idéologie libérale. 
Pourtant... 
Sous sa forme extrême, cependant, croire à la liberté de marché c'est être aussi naïf que croire au Père Noël. Page 384.
[...] Les marchés en eux-mêmes n'offrent aucune protection contre la fraude, le vol ou la violence. Page 384.
[...] C'est au système politique qu'il appartient d'instaurer la confiance par des lois sanctionnant les tricheries [...]. Page 384.
On a vu plus libéral...
Cela étant dit, un tant soit peu d'honnêteté intellectuelle nous fera admettre la forte probabilité que l'on puisse, aussi, extraire des 492 pages du livre des citations dénotant une opinion libérale. Il n'empêche que quelques brefs extraits du livre invalide la volonté de réduire le récit à un "concentré d'idéologie libérale".

Et le blogueur de poursuivre...
Harari attribue aux mythes, aux religions, aux idéologies un rôle de mise en coopération des humains. Mais évoque-t-il parfois l'intervention active de couches sociales dominantes dans l'élaboration de ces mythes, religions et idéologies pour perpétuer leur domination ? En fait, jamais. La notion de domination d'une couche sociale sur d'autres dans les sociétés humaines au cours de l'histoire semble lui être étrangère.
Pourtant, encore une fois...
Partout surgirent des souverains et des élites qui se nourrirent du surplus des paysans et leur laissèrent juste de quoi subsister. Page 129. 
[...] Gardons-nous de toute illusion idyllique sur les "réseaux de coopération de masse" tels que l'Egypte pharaonique ou l'Empire romain. "Coopération" paraît très altruiste, mais celle-ci n'est pas toujours volontaire et elle est rarement égalitaire. La plupart des réseaux de coopération humaine reposent sur l'oppression et l'exploitation. Page 132.
Sans commentaire. Poursuivons...
[Harari] ignore tout du rôle de la science dans la recherche de plus value extra, et donc dans la crise mondiale du capitalisme, dont il ne dit mot.
Ce que le journaliste souhaiterait voir traiter n'est pas très clair ici ("plus value extra" ?). Mais voici tout de même quelques extraits en rapport avec la surenchère financière et les crises économiques...
Quand des Etats et des sociétés capitalistes envisagent d'investir dans un projet scientifique donné, la première question est habituellement : "Ce projet va-t-il nous permettre d'accroître la production et les profits ? [...] Faute de franchir ces obstacles, un projet à peu de chance de trouver un sponsor. Page 369.
[...] La croissance du capitalisme en une croissance économique perpétuelle va contre tout ce que nous savons ou presque de l'univers. Page 369.
[...] De nouvelles découvertes [...] pourraient soutenir les billions de monnaie factice que les banques et les Etats ont créée depuis 2008. Si les labos ne répondent pas à ces attentes avant que la bulle n'explose, nous allons au-devant de temps très rudes. Page 369.
Quand les lois [...] sont incapables de réguler convenablement les marchés, la confiance se perd, le crédit s'amenuise et l'économie s'enfonce dans la crise. [...] Ceux qui l'auraient oubliée ont eu une piqûre de rappel avec la bulle immobilière américaine de 2007, et la crise du crédit et la récession qui suivirent. Page 384.
En réalité, ces extraits sont une bonne illustration de ce qu'est le livre d'Harari et que le blogueur ne semble pas pouvoir percevoir tant il observe, lui, par le petit bout de la lorgnette : une vision "de très haut" de l'histoire de l'humanité et qui par conséquent n'a pas pour but de traiter en détail de tout. Pléthore de livres brillants sont là pour analyser l'Histoire en détail (y compris certainement des œuvres marxistes !).

Mais poursuivons...

[...] Sa lucidité à ce sujet [l'association étroite entre la science et l'impérialisme], qui prend le scientisme à contre-pied, ne va pas toutefois jusqu'à prendre en compte – ou seulement du bout des lèvres – les progrès que les connaissances – par exemple en médecine – peuvent apporter aux humains.
Dans le livre...
Au cours des deux derniers siècles par exemple, la médecine moderne a réduit la mortalité infantile de 33 % à moins de 5 %. Peut on douter que cela ait largement contribué au bonheur non seulement des enfants qui seraient morts autrement, mais aussi de leurs familles et leurs amis ? Page 444. 
Dans les tout derniers siècles, [...] les hommes ont appris à utiliser leurs capacités à meilleur escient. Les triomphes de la médecine n'en sont qu'un exemple. Page 444.
Poursuivons l'article...
[...] Le relativisme philosophique d'Harari l'amène a des formulations plus que douteuses : il met sur le même plan « l'humanisme libéral » (champion selon lui des Droits de l'Homme), « l'humanisme socialiste » (où l'individu est écrasé par le Parti ou les syndicats (sic)) et « l'humanisme évolutionniste »...
Pas vraiment. Ce sont les deux premiers qu'Harari met sur le même plan...
De même que son homologue libéral, l'humaniste socialiste repose sur des fondements monothéistes. L'idée que tous les hommes sont égaux est une version remaniée de la conviction monothéiste que toutes les âmes sont égales devant Dieu. Page 272.
N'importe quel livre d'écolier suffit à nous faire entendre les différences entre humanismes libéral et socialiste. Dans Sapiens, Harari nous fait plutôt découvrir la substantifique moelle de l'histoire des idées humaines, leur trame historico-culturelle, leurs dénominateurs communsDe plus, Harari souligne bel et bien les différences avec le troisième "humanisme"...
La seule secte humaniste qui ait réellement rompu avec le monothéisme traditionnel est l'humanisme évolutionniste dont les nazis sont les représentants les plus célèbres. Ce qui distingue les nazis des autres sectes humanistes, c'est une définition différente de l'"humanité", profondément influencée par la théorie de l'évolution. Page 272.
Mais revenons aux "critiques"...
Ce dernier « humanisme » est attribué selon lui... au nazisme, crédité d'une visée d'amélioration de l'espèce humaine !
L'auteur de l'article découvrirait-il que les nazis voulaient effectivement améliorer la race humaine ?! Souhaitons que sa connaissance des concepts marxistes soit plus solide que celle du nazisme...
S'il était encore possible de douter de la mauvaise foi du blogueur...
Pour lui [Harari], les écrits de Marx, Engels, Lénine, etc. sont des ramassis dogmatiques sans intérêt, ou pire.
Une citation peut-être ? Non, bien sûr ! Harari, certes n'encense jamais le marxisme, mais surtout ne fait pas de discrimination aussi grotesque. Mieux... 
Dans le même temps, entre les dogmes de l'humanisme libéral et les toutes dernières découvertes des sciences de la vie, s'ouvre un gouffre [...]. Depuis plus de deux cents ans [...] les sciences de la vie ont profondément miné cette croyance. [...] Nos systèmes politiques et judiciaires essaient largement de cacher sous le tapis ces découvertes fâcheuses. Page 276. 
Et reprenons cette citation tant elle veut son pesant de cacahuètes sous la plume d'un capitaliste néo-libéral...
Sous sa forme extrême [...] croire à la liberté du marché c'est être aussi naïf  que croire au Père Noël. Page 384.
En usant de la même mauvaise foi que l'auteur de l'article, un critique néo-libéral, pourrait tout aussi bien s'appuyer sur ce qui précède pour asséner à son tour... 
Pour Harari, les écrits des penseurs libéraux sont des ramassis dogmatiques sans intérêt, ou pire.
Le comble, c'est que ce blogueur, pourrait peut-être, qui sait, à travers sa maîtrise des concepts marxistes-léninistes, montrer intelligiblement qu'Harari est réducteur quand il associe les progrès de l'humanité au seul capitalisme ou qu'il en minimise les nombreux travers, comme par exemple, dans l'extrait qui suit :
Le partage ne sera jamais équitable mais il y aura assez pour satisfaire chacun [...]. Il y a bien quelques signes positifs. Du moins si nous recourons à des critères purement matériels comme l'espérance de vie, la mortalité infantile et la consommation de calories, le niveau de vie de l'homme moyen en 2013 est sensiblement plus haut qu'il était en 1913, malgré une croissance démographique exponentielle. Page 389.
Vous noterez au passage la prudence d'Harari quand il s'agit de souligner les bienfaits du capitalisme. Une circonspection, un sens de la mesure, complètement étrangers à l'auteur du blog, hélas.
Et quand enfin ce dernier nous épargne son dogme, ce n'est guère mieux...
En ce qui concerne la monnaie, qualifiée par lui de « fiction »...
Les fictions, les mythes, les croyances, ce que l'on ferait mieux d'appeler "réalités intersubjectives" selon Harari (nous épargnant ainsi d'interminables querelles sémantiques), ces fictions donc, sont effectivement au cœur de son analyse : ce sont selon lui les points de départ puis les jalons indispensables à la construction de l'Histoire des civilisations. On a désormais de sérieuses raisons de penser que notre blogueur n'a pas lu le livre !
 ... si Harari, sans originalité, souligne le rôle de l'invention de la monnaie dans la stimulation des échanges et de l'économie...
Passons sur la condescendance du "sans originalité", originalité ou pas, la monnaie est, toutes idéologies confondues de surcroît, une de ces réalités intersubjectives fondamentales et structurantes de notre Histoire. On est justement au cœur du propos d'Harari.
... il ignore résolument l'analyse de Marx, comme il ignore tout de la loi de la valeur.
Si l'analyse de Marx est l'effet "dissolvant" de la monnaie (si le blogueur justifiait un tant soit peu ses propos, on serait plus à même de débattre...), Harari évoque pourtant l'excès de "monnaie factice", de crédit dans le capitalisme contemporain (voir, par exemple, les citations précédentes).
Quant à la loi de la valeur (voulant que la valeur d'échange d'une marchandise soit déterminée par le temps de travail socialement nécessaire à sa production), c'est un débat sans fin, totalement hors sujet ici. Encore une fois, Harari observe l'Histoire humaine dans une perspective large et nous expose sa perception du "pourquoi du comment".

Inutile de poursuivre, le reste de l'article est du même acabit : aucune intention d'éveiller la curiosité du lecteur, de l'inciter à approfondir ses connaissances, à se forger sa propre opinion.

La conclusion est un bijou...
Un livre à consommer l'esprit en alerte pour démêler le bon grain de l'ivraie.
Merci pour le conseil : en ce qui me concerne, je vois très bien où est l'ivraie...

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