Faux-ami ?

[...] Les habitants des pays pauvres, en moyenne, vivent évidemment mieux maintenant qu'il y a trente ans, c'est indéniable. Mais il ne faut pas surestimer les effets, ni les attribuer systématiquement à la mondialisation, ils progressent car ils se développent vite, partant de très bas, comme nous l'avons fait nous-même, sans mondialisation. 
[...] D'ailleurs, les quelques pays d'Asie, à commencer par la Chine, qui tirent pleinement leur épingle du jeu de la mondialisation sont essentiellement ceux qui, au contraire de l'Amérique du Sud ou de l'Afrique, n'ont jamais appliqué les recettes intégristes de la vulgate financiariste et ont protégé leur économie. 
[...] Car le problème est que cette forme de mondialisation [ultralibérale] a poussé ces pays à tourner leurs économies vers l'exportation, plutôt que vers le développement de leur demande intérieure, les fragilisant en cas de crise, et les enfermant dans un modèle de développement non durable [...].
Olivier BERRUYER, Les faits sont têtus, Les arènes, 2013, p. 138.

Deux poids, deux mesures...

La chute du communisme a supprimé "l'ennemi" qui faisait peur aux riches et en limitait donc la rapacité. C'est cette pression qui a conduit bien des dirigeants comme Bismark, Churchill ou Roosevelt, qui étaient de grands bourgeois, à prendre de mesures sociales pour tempérer les excès du capitalisme ; le rendant plus acceptable par les peuples, ils en ont assuré la survie. 
Depuis 1989, l'ultralibéralisme se retrouve dans une situation de monopole contre nature, comme le souligne Lester Thurow : "Comment un système qui croit à la nécessité de la concurrence pour rendre les entreprises  efficaces pourrait-il lui-même s'adapter au changement et conserver son efficacité s'il n'a plus de concurrent ?"
Olivier BERRUYER, Les faits sont têtus, Les arènes, 2013, p. 98.

Planche à inflation ?

Mensonge n° 4 : l'utilisation de la planche à billets n'a jamais été une promenade de santé et a quasiment toujours eu des conséquences dramatiques pour toute la population. C'est à la suite de ces désastres financiers que des règles saines ont été mises en place. Olivier BERRUYERLes faits sont têtus, Les arènes, 2013, page 229.
Pour illustrer son propos, Olivier Berruyer propose cet édifiant graphique...


Comparons à l'inflation aux Etats-Unis et au Royaume-Uni...


Sans surprise l'inflation explose dans tous les pays à chaque déclenchement de guerre mondiale. Si l'on veut parler de l'impact des prêts accordés par la Banque de France il nous faut alors observer en dehors de ces moments dramatiques de l'histoire. Trois hausses significatives de l'inflation en France (et en France uniquement) et corrélées à une hausse des prêts de la BF, sont observables : grosso-modo autour de 1926, 1935 et 1955 sur le graphique. Un tableau des taux d'inflation par année permet de préciser les dates : 1926 (31,7 %), 1937 (25,7 %) et 1958 (15,1 %). FranceInflation.com.

Avant de poursuivre, on pourrait s'interroger sur l'ampleur de l'inflation en France comparée aux autres pays...
[Après 1936, la remontée des prix] fut plus marquée en France que dans le reste du monde, en raison du fait que la France connut à la fois une hausse plus forte des coûts de production et une dépréciation du franc, due en grande partie aux sorties de capitaux provoquées par l'inquiétude des milieux financiers durant les années du Front populaire (1936-1938). Pierre BEZBAKH, Inflation et désinflationBooks.Google.fr, p. 11.
Les largesses de la Banque de France ne semblent pas impliquées de manière significative. Mais que s'est-il donc passé ces années-là ?
[...] Suite à une crise de confiance, la France connaît un pic d'inflation en 1926. La stabilisation Poincaré rétablit la situation et conduit à la déflation jusqu'aux fortes hausses de salaire horaire du Front populaire en 1936Cairn.info
La "crise de confiance" en quelques mots...
Les coûts élevés du conflit, des pensions de guerre et ceux de la reconstruction, provoquent des déficits publics, qui sapent la valeur du franc [...]. Cette inflation [...] permet de diminuer l'endettement de l'Etat, [... et de stimuler] les exportations. [...] Le risque d'une aggravation de l'endettement extérieur est peu craint car la France compte sur les réparations financières dues par l'Allemagne. Cette situation monétaire favorise la croissance, mais sape la confiance dans la monnaie. SlideShare.net 
[...] La dépréciation monétaire se précipite, dirigée presque exclusivement par la fuite des capitaux vers l'étranger qui provoque la chute du franc et par les demandes de remboursements des bons du Trésor, contraignant l'Etat à une émission inopportune de moyens monétaires. Persee.fr, p. 44.
L'épisode 1936...
On remarquera le rôle passif joué par la monnaie dans l'évolution 1936-37 : les augmentations de la circulation et des disponibilités monétaires sont très lentes en dépit de la réapparition des avances de la Banque à l'Etat. Persee.fr, p. 56.
De fait, toutes les statistiques disponibles indiquent que la relance de l'inflation décidée par le Front Populaire a conduit à une relance importante des profits des entreprises en 1936-37. [...] Les très gros entrepreneurs ne furent certes pas les seuls à profiter de la reprise de l'inflation : cette dernière fut également très bénéfique pour l'ensemble des travailleurs non salariés, et notamment pour les paysans, qui avaient particulièrement souffert de la baisse des prix [les années précédentes]. Thomas PIKETTYLes hauts revenus en France au XXe siècleBooks.Google.fr.
L'année 1958...
A partir de 1956, une remontée sensible des prix se produisit en relation avec le début de la guerre d'Algérie : celle-ci provoqua en effet une hausse des dépenses de l'Etat alors que la main-d'oeuvre disponible diminuait, que le déficit extérieur se creusait et que les réserves de devises s'épuisaient. Pierre BEZBAKH, Inflation et désinflation, Books.Google.fr, p. 17.
Étonnamment, il est difficile de trouver des argumentaires incriminant une création monétaire menée par l'Etat de manière inconsidérée.
La ritournelle "les Etats ont autrefois beaucoup fait tourner la planche à billet et cela a fait beaucoup de mal" est très souvent utilisée, et pour tout dire, bien ancrée dans les mentalités, mais finalement, sans être solidement fondée et étayée (hormis quelques cas d'hyperinflation dramatiques mais aux contextes très singuliers, façon république de Weimar)...

Copain banquier...

Les détracteurs de la "privatisation de la dette publique par les méchants banquiers", vantent les mérites de dispositions légales abolies depuis la fameuse "loi de 1973", et qui permettaient alors à la France d'emprunter à la Banque de France sans verser d'intérêts et donc sans s'infliger une charge de la dette, source de tous nos maux actuels et prétexte des pourfendeurs de l'Etat providence...

Qu'en est-il réellement ?
Mensonge n° 1 : il ne s'est strictement rien passé de nouveau en 1973 par rapport à 1936. Olivier BERRUYERLes faits sont têtus, Les arènes, 2013, page 227.
C'est vrai. Et tous ceux qui font leur choux gras de la loi 1973 sans en parler doivent justifier cette omission, qui leur permet, par exemple, de singulariser cette loi à grands renforts d'antisémitisme (via la banque Rothschild)...
Et pour cause : [la fameuse interdiction] a [en réalité] été introduite par la loi du 24 juillet 1936. L’article 13 de ladite loi précise en effet que « Tous les Effets de la dette flottante émis par le Trésor public et venant à échéance dans un délai de trois mois au maximum sont admis sans limitation au réescompte de l’Institut d’Émission, sauf au profit du Trésor public. ». Contrepoints.org
En langage courant...
Quand un acteur avait besoin de liquidités, il demandait à la Banque de France d’escompter des titres de créance : l’acteur échangeait une obligation contre des liquidités. Si par exemple, un acteur X possédait une obligation française qui serait remboursée cinq ans plus tard, celui-ci pouvait demander à la Banque de France de lui avancer cette somme en échange de la promesse de rembourser quand l’obligation arriverait à maturité. Très pratique lorsque l’on avait besoin de liquidités rapidement. 
Cet article [de juillet 1936] énonce une règle simple : le Trésor public ne peut pas présenter ses propres obligations à la Banque de France. Il doit donc chercher des liquidités ailleurs [...] Contrepoints.org
L'article en question sur ce pdf disponible sur le site de la Banque de France...
Mensonge n° 3 : l'Etat n'a jamais utilisé la Banque de France comme banquier pour financer à long terme ses déficits. Olivier BERRUYERLes faits sont têtus, Les arènes, 2013, page 228.
La preuve dans les fameux graphiques d'Olivier Berruyer...

En tant que banquier  d'un client qui n'a guère de trésorerie (au vu de ses déficits permanents), la Banque a toujours accordé de légers découverts à l'Etat, afin qu'il puisse payer les salaires le temps que les impôts rentrent. L'Etat a aussi emprunté des sommes plus importantes, mais dans des circonstances dramatiques : les deux guerres mondiales. Olivier BERRUYERLes faits sont têtus, Les arènes, 2013, page 227.
Instructif. Cependant, les pourfendeurs de la loi de 1973, ne pointent pas tant l'impossibilité de faire du déficit à gogo, que les conséquences du déficit à travers les prêts à intérêts rendus obligatoires, selon eux, par cette loi...

Voici les deux courbes qui illustrent le mieux leur propos...


Et les conclusions qu'ils en tirent...
"... La maîtrise privée de la création monétaire est un verrou diabolique qui interdit en profondeur le droit des peuples à disposer d'eux-même." Etienne Chouard, Préface à La Dette Publique, une affaire rentable. André-Jacques HOLBECQ, Editions Yves Michel, 2011, p. 12. 
"En abandonnant au secteur bancaire le droit de créer de la monnaie, l'Etat s'est privé en moyenne d'un pouvoir d'achat de annuel représentant environ 5,2 % du revenu national." Maurice Allais. La Dette Publique, une affaire rentable. André-Jacques HOLBECQ, Editions Yves Michel, 2011, p. 55. 
[Le service de la dette de l'Etat], c'est prélever sur notre travail et notre production plus de 120 millions d'euros par jour, [...] et le transférer à ceux qui sont déjà les plus riches, qui d'ailleurs peuvent ainsi nous le reprêter à nouveau contre intérêt...". André-Jacques HOLBECQ. La Dette Publique, une affaire rentable.  Editions Yves Michel, 2011, p. 67.
Etc, etc... Disons pour simplifier leur propos, qu'en empruntant gratis à la Banque de France, le déficit, à défaut d'être résorbé, aurait au moins été contenu...

Il faut cependant peut-être relativiser cette conclusion...
[...] Sur les 1800 milliards de dette actuelle, environ 1100 milliards sont dus uniquement à la charge d'intérêt de la dette (qui pour rappel est d'environ 50 milliards d'euros par an sur les 5 dernières années). 
[...] L'idée sous-jacente est de se dire que si la France n'avait pas payé d'intérêt sur sa dette, comme cela était techniquement possible avant 1973, alors la dette de la France ne serait "que" de 700 milliards d'euros ! Et indirectement donc, que les 1100 milliards d'intérêt versés par l'Etat depuis 1973 (donc par le contribuable) ont servi à enrichir "les banquiers".
Comme on peut le voir graphiquement, la dette actuelle en pourcentage du PIB se situe dans les pays développés (courbe orange) à peu près au même niveau qu'à la fin de la seconde guerre mondiale. Graphiquement, on note une hausse dans l'ensemble des pays du monde de la dette en pourcentage du PIB à partir des années 1975 / 1980. La situation est la même partout dans le monde, malgré le fait que certains pays aient adopté bien avant ou bien après 1973 une loi du même type que la loi Giscard-Pompidou française. Cela plaide donc en faveur de l'hypothèse du Captain' comme quoi cette fameuse loi française de 1973 n'est pas LA cause de l'endettement français. CaptainEconomics.fr
Sans oublier le supposé manque de compétences de nos politiques...
Alors oui, si l'Etat s'était endetté à 0 %, il n'y aurait pas de dette publique aujourd'hui, en théorie ; en pratique, gageons que cela aurait été un prétexte pour dépenser plus et générer quand même une dette publique élevée, par facilité et irresponsabilité. Olivier BERRUYERLes faits sont têtus, Les arènes, 2013, page 237.

Charlot...

Si la misère de nos pauvres est provoquée non par des causes naturelles, mais par nos institutions, grande est notre faute !
Charles DARWIN

Sainteté...

L'Histoire est déterminée par la guerre, la cupidité, la soif du pouvoir, la haine et la xénophobie (et quelques autres motivations, plus admirables, intervenant de-ci, de-là). Nous estimons donc généralement que notre nature fondamentale est définie par ces traits humains évidents. Ne nous a-ton pas souvent dit que l'"homme" est, par nature, agressif et ne cherche qu'à accumuler égoïstement des richesses ? 
[...] Il est évident que la gentillesse et la violence font partie toutes deux de notre nature, parce que nous les manifestons constamment toutes les deux, et abondamment. [... Mais] la stabilité sociale règne presque tout le temps et doit nécessairement être fondée sur l'écrasante prédominance (bien que tragiquement non reconnue) des actes de bienveillance, ce qui veut dire que ce dernier comportement est donc notre attitude préférée la plus habituelle, presque tout le temps. 
[...] Le noyau de la nature humaine est exprimé par ces dix mille actes ordinaires de gentillesse qui façonnent notre quotidien. Qu'y a-t-il de plus tragique que ce paradoxe fondamental selon lequel l'Everest de la bienveillance se tient la tête en bas, en équilibre sur sa pointe, et peut basculer facilement sous l'impact d'événements rares, contraires à notre nature quotidienne, mais qui déterminent notre Histoire. En un certain sens profond, nous n'avons pas ce que nous méritons. 
La solution à notre malheur ne consiste pas à vaincre notre "nature", mais à briser la "grande asymétrie" et à permettre à nos dispositions ordinaires de gouverner notre vie. Mais comment faire pour installer le banal sur le siège du pilote de l'histoire ?
Stephen JAY GOULD, Comme les huit doigts de la main, Point, 1996, p. 347.

L'oeuf ou la poule, encore...

Les trois décennies d'après-guerre, les Trente Glorieuses, c'était un capitalisme strictement régulé et porteur d'un ambition sociale. La grande croissance que nous avons alors connue s'explique largement par des politiques systématiques de hauts salaires, voulues au nom de raisons macroéconomiques et visant à dynamiser le pouvoir d'achat [...].
Michel ROCARD, La politique telle qu'elle meurt de ne pas être.
Alain Juppé, Michel Rocard, débat conduit par Bernard Guetta. J'ai Lu. 2011. Page 36.

Ce raisonnement typiquement Keynesien est désormais souvent relativisé...
[...] On peut apporter quelque crédit à l'observation de COE-REXECODE, selon laquelle « toute tentative de relance de la consommation intérieure aboutirait à des « fuites à l'importation » croissantes et soutiendrait plus les importations que la production française ». Cet organisme indique que « sur longue période, entre les années 1973 et 1993, les importations françaises en volume avaient progressé à un rythme annuel 2,2 fois plus élevé que celui du PIB. Entre 1996 et 2006, l'élasticité des importations à la progression de [la] demande s'est accrue à 2,5 ». Au total, « le coefficient de « fuite à l'importation » a augmenté ce qui rend inopérant les tentatives de relances isolées »
Si ce diagnostic est peu contestable, il s'applique en revanche à la plupart des économies ouvertes et ne traduit pas en soi une quelconque spécificité de l'économie française, laquelle est soumise comme toutes les économies au mouvement d'internationalisation des échanges et des chaînes de production.

Déesse productivité...

On constate que la croissance de la valeur ajoutée (partie largement prépondérante du PIB) est bien la résultante de la croissance des trois autres éléments. 
[La diminution continuelle du temps de travail sur la période] a été salutaire car, à niveau de croissance donnée et à à productivité fixée par l'appareil productif, la quantité d'heures travaillées est fixée. Si le temps de travail n'avait pas diminué, c'est le nombre d'emplois qui aurait chuté. Cette baisse du temps de travail a donc permis de gérer en douceur les énormes gains de productivité, en évitant probablement environ cinq à six millions de chômeurs en plus. 
Toutefois, le fait marquant de ce graphique concerne la productivité horaire : on observe que son évolution est prépondérante dans celle de la valeur ajoutée et, donc, de la croissance. [...La contribution de] la quantité de travail [...] à la croissance est toujours inférieure à 20 % de celle de la productivité. Ainsi, on peut considérer que la quasi-totalité de la croissance des Trente Glorieuses a été due à de fabuleux gains de productivité.
Olivier BERRUYERLes faits sont têtus, Les arènes, 2013, p. 232.

On peut mourir une fois sur mille, mais...

La Suède est à 2,1 [décès d'enfant avant l'âge de 1 an] pour mille [naissances vivantes], le Japon à 3. La France fait à peine moins bien que ces références obligées, à 3,4 en 2011 contre 52 pour mille en 1950. Elle réalise cette performance tout en absorbant une immigration souvent venue de pays à la mortalité infantile élevée. Son système de santé est décidément solide. Les Etats-Unis sont à 6 décès avant l'âge de 1 an pour mille naissances vivantes, presque au même niveau que la Pologne.
Hervé LE BRAS, Emmanuel TODD, Le mystère français, Seuil 2013, p. 20.