Huile sur le feu ?

Selon le Journal du Dimanche du 13 novembre, BNP Paribas (et Groupama) aurait vendu un milliard de dette française, sur les 14 qu'elle détient, afin de réaliser des plus-values sur des titres en forte demande [...]. Avant de racheter de la dette récente émise à un taux d'intérêt plus élevé, et donc plus onéreuse pour le contribuable.
Alternatives Economiques, 12/2011, p. 22.
Cette courte dépêche semble sous-entendre que BNP Paribas tente de faire des profits sur le dos des contribuables français...

Tout d'abord la BNP a vendu, non pas de la dette française, c'est-à-dire des obligations ou des bons du Trésor, mais des CDS sur la dette française.

Dans Le casse du siècle, Michael Lewis, raconte les premiers CDS et leur principe...
Les CDS étaient des polices d'assurance, généralement sur des obligations de société, avec des paiements de primes semestrielles et une échéance fixe. Par exemple, vous pouviez payer 200 000 dollars par an pour acheter un CDS de dix ans sur 100 millions de dollars d'obligations General Electric. Le maximum que vous pouviez perdre, c'était 2 millions de dollars. Le maximum que vous pouviez gagner, c'était 100 millions de dollars, si General Electric échouait à rembourser sa dette au cours des dix années suivantes et que les porteurs d'obligations ne recevaient rien. C'était un pari à somme nulle : si vous gagniez 100 millions de dollars, le type qui vous avez vendu le Credit Default Swap perdait la même somme. Michael LEWIS (2010). Le casse du siècle, Sonatine, 2010, p. 56.
Le CDS étant une sorte d'assurance, son cours monte quand le risque de non-recouvrement de l'obligation augmente.
Ces opérations spéculatives [sur le marché des CDS] ont-elle une influence sur le coût de financement des Etats ? La plupart des financiers pensent qu'elle est mineure, parce que les marchés de CDS restent d'une taille restreinte par rapport à ceux de la dette publique proprement dite, de l'ordre de 1 à 2 %. Trop peu pensent-ils pour avoir un effet d'entraînement sur les taux. Ce que contestent, tests économiques à l'appui, les auteurs d'un article récent : "Pendant les périodes de tension, la prime des CDS dirige le taux des obligations", résume Anne-Laure Delatte, un des auteurs. Thierry Philipponnat, secrétaire général de l'Agence Finance Watch, estime lui que "les CDS ont agi comme le vent sur le feu : le vent n'allume pas le feu, mais l'attise, et à un certain point, le rend incontrôlable." Sandra MOATTI (2011). Alternatives Economiques, 01/2012, p. 8. 
Le sujet fait débat, mais il est donc possible qu'une côte de CDS en hausse ait tendance à dissuader les investisseurs d'acheter les obligations sous-jacentes. Si la BNP n'avait pas vendu de CDS, elle n'aurait donc pas contribué (modestement certes, mais c'est toujours ça...) à limiter la hausse du cours de ces produits dérivés et donc, indirectement, à rassurer les investisseurs. Mais surtout, si elle n'avait pas racheté de la dette française (des obligations cette fois, non plus des CDS), elle n'aurait pas contribué, à soutenir la demande sur les titres de dette française, et donc, à freiner la hausse du taux d'intérêt réclamé par les marchés.

Qu'en est-il, du second sous-entendu, à savoir que BNP Paribas, investirait sur le dos des  contribuables condamnés à lui verser plus d'intérêts ? Ces intérêts sont, pour la Banque, des revenus. Il est évident qu'une certaine proportion de ces revenus, sera réinjectée in fine, dans l'économie du pays.

On sait d'avance qu'il ne sera pas possible de chiffrer cette proportion dans les lignes qui suivent. Même les spécialistes, même en équipe, en sont bien incapable. Mais essayons tout de même d'en savoir plus...
Impossible de trouver une information synthétique sur ce que font les banques françaises de leurs revenus. A défaut, l'Association des banquiers canadiens publie généreusement, le graphique recherché, simple et efficace. Ce graphique est très peu éclairant il faut l'admettre ; les banques canadiennes n'ont certainement pas grand chose à voir avec les banques françaises (par exemple, banques d'investissement et banques de détail sont séparées)...

 Association des banquiers canadiens, consulté le 17/12/2011.

Au Canada, les intérêts versés par les contribuables sont donc une partie des 55 % de revenu d'intérêt du premier graphique. En considérant que la répartition des revenus à BNP Paribas est comparable à celle des banques canadiennes, les contribuables peuvent être perdants si...

1. Pour les 25 % de salaires et avantages sociaux, on considère que la richesse a été transférée des contribuables les moins aisés aux "déjà riches" cadres dirigeants, voire même cadres supérieurs (à l'appréciation de chacun...). Mais ils sont eux aussi des contribuables.
Et cela nous amène à la grande théorie de l'inexorable tendance à la concentration du capital >>

2. Au sein des 7 % de profits réinvestis, une partie non négligeable quitte l'économie nationale...
2.1. Si ces profits sont investis à l'étranger. Mais, sauf mauvais investissement, l'argent revient tôt ou tard majorée des intérêts perçus.  Mais ce retour sur investissement pourrait dans certains cas et/ou certaines conditions s'avérer plus rentable à long terme s'il s'appuyait sur un investissement direct en France via des créations d'emplois ou des améliorations de productivité. Ce point nous amène au grand débat sur la démondialisation.
2.2. Si BNP Paribas, sous couvert "d'investir dans l'entreprise", transfère tout ou partie de ces revenus dans une de ses filiales dans un paradis fiscal. Amis de la Terre.org.
Mais les multinationales françaises semble investir beaucoup en France via leurs filiales off-shores. Alternatives Economiques.fr. 
Mais via ce système, elles se soustraient à l'impôt sur les sociétés.
3. Au sein des 9 % de dividendes, une partie non négligeable quitte, peut-être définitivement, l'économie nationale via...
3.1. Le versement aux actionnaires étrangers. Mais ils peuvent au bout du compte tout à fait réinvestir leurs gains en France, d'autant que l'investissement étranger en France semble à peu près stable en 2009 en moyenne glissante sur 10 ans.
3.2. Les actionnaires français qui envisagent de réinvestir leurs dividendes à l'étranger, mais l'investissement français à l'étranger est en très légère baisse en 2009 en moyenne glissante sur 10 ans.
3.3. Mais le solde des investissements en France est négatif (les français investissent plus à l'étranger que l'étranger n'investi en France). Cndp.fr.
Les chiffres qui suivent, même s'ils concernent une autre banque, la Société Générale, apportent quelques informations complémentaires sur l'affectation des ressources...
[Le bilan consolidé 2009 de la Société Générale fait état des chiffres globaux suivants :] 280 milliards d'euros de dépôts mêlés à 45 milliards de fonds appartenant aux actionnaires et 715 milliards de dette (contractées par les clients de la banque) sous différentes formes. 17 % de cette somme sert à accorder des crédits à l'économie locale (réparties à peu près comme suit : 7 % pour des crédits immobiliers, 5 % pour des crédits à la consommation, 4 % pour le développement des PME, 2 % pour les collectivités). 10 % financent les dépenses publiques de l'État. 41 % sont investis dans les activités industrielles et les grands groupes. 13 % servent à d'autres banques, assureurs et autres établissements financiers. Enfin, 19 % servent à spéculer sur les produits dérivés.
Statnislas DUPRÉ (2010). Que font-ils de notre argent ? NIL, p. 21.

 Alternatives Economiques, 01/2012, p. 68.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire