Pourvus or not pourvus ?

Où l'on apprend comment les emplois vacants sont abusivement assimilés aux emplois non pourvus et, par là-même, largement sur-estimés...
Un demi million d'offres d'emploi non satisfaites et 2,7 millions de chômeurs (catégorie A) : "pourquoi on ne les rapproche pas ?", s'est alors interrogé Nicolas Sarkozy.
LANDRE M. (2011). Blog.LeFigaro.fr (consulté le 07/01/2012)
Et dans ce contexte de chômage croissant, un chiffre retient l'attention. Il nous a été fourni par Pôle emploi aujourd'hui même, regardez, il y a à ce jour 580 000 postes vacants. C'est une contradiction qui semble difficilement compréhensible [...]  580 000 offres d'emplois non pourvus cela représente tout de même 20 % du nombre de chômeurs actuels, et près de 40 % des offres d'emploi proposées l'an dernier.
David PUJADAS, France 2Journal de 20 H, 25/01/2012.

En rapprochant ainsi les emplois non pourvus et le nombre de chômeurs, il est sous-entendu qu'au moment où ces mots sont prononcés, 580 000 propositions d'embauche s'éternisent sur le marché de l'emploi sans trouver preneur sur les presque trois millions de chômeurs que comptent la France. En d'autres mots, si les demandeurs d'emploi étaient obligés d'accepter ces offres, le nombre de chômeurs diminuerait d'autant.Or 580 000, c'est en réalité le cumul, sur une année, de toutes les offres recueillies à Pôle emploi qui ont été annulées sans avoir été satisfaites. Ces 580 000 sont mis en regard des 2,7 millions de demandeurs d'emploi officiels, chiffre qui est, lui, une coupe instantanée.
De fait, le site de Pôle emploi ne propose que très rarement plus 200 000 offres d'emploi chaque jour. On voit mal comment l'on pourrait s'offusquer de 580 000 postes vacants s'ils ne font pas l'objet d'une annonce !
Ceci étant dit, un demi million de contrats de travail honorés seront toujours mieux qu'un demi million d'offres non satisfaites. Tentons de voir ce qu'il en est vraiment...

500 000...

Voici le nombre d'offres enregistrées et satisfaites, chaque mois, à Pôle emploi, sur une année...


Pole-emploi.org (consulté le 14/01/2012) 

Les offres non satisfaites cumulées sur l'année écoulée, s'élèvent effectivement à 447 300. En coupe instantanée, mettons chaque jour, 9170 emplois sont proposés et 1230 ne trouvent pas preneurs, soit un peu plus de 13 % d'offres non satisfaites. Qu'en est-il sur l'ensemble du marché du travail ?
On
 peut
 estimer
 [la]
 part 
de
 marché [de Pôle emploi]
 à
 environ
 40 % 
pour 
les 
contrats 
de
 travail,
 hors 
intérim, 
de
 plus
 d’un
 mois, 
lesquels 
représentent
 l’essentiel
 (près 
de 
85%)
 des
 offres
 collectées 
par
 Pôle
 Emploi.
Les autres chiffres du chômage.fr (consulté le 17/01/2012).
Performance Publique.fr (consulté le 15/01/2012).

Si l'on se fie à ces 40 %, si l'on considère (à tort ou à raison) que les autres acteurs du marché (agences d'intérim, cabinets de recrutement, sites internet type Monster.fr, etc.) ont le même taux d'offres non satisfaites, et enfin s'ils proposent globalement les mêmes types de contrats, le total des offres non pourvues, sur l'ensemble du marché du travail, s'élèverait à un peu plus de 1 120 000 par an, soit 3 000 postes par jour environ qui ne trouvent pas preneur.


En première conclusion, l'on voit bien qu'il n'y a pas un demi million ou 580 000 emplois vacants "à ce jour". En effet, si on décidait, mettons à partir de demain, d'attribuer "de force" toutes les offres non satisfaites disponibles sur le marché (si cela était seulement possible sachant qu'il faudrait alors savoir à l'avance qu'elles resteraient non pourvues sans cela), le nombre de chômeurs diminuerait de 3 000 au mieux... Sans données fiables sur les parts de marché, restons-en aux 1 200 offres de Pôle emploi.

On pourra objecter, que le lendemain, ce seraient à nouveaux 1 200 allocataires en moins, et ainsi de suite, diminuant d'autant le nombre de demandeurs d'emploi jusqu'aux fameux cinq cent milles chômeurs en moins au bout d'une année. Mais évidemment ce serait considérer, à tort, que chaque emploi créé l'est une bonne fois pour toute. Or, la majorité des offres d'emploi proposées sur le marché, sont des emplois de courte durée et/ou à temps partiel, avec des types de contrats de toutes sortes (CDI, CDD, CTT, contrat d'apprentissage, etc.). Certaines offres durent une journée, d'autres 10 mois à quinze heures par semaines, à temps-plein pendant trois mois, etc.
Voici la répartition des offres enregistrées à Pôle emploi selon le type de contrat...

Insee.fr (consulté le 14/01/2012)

Un discours s'appuyant sur ce rapport entre nombre de chômeurs et offres non satisfaites, pour être recevable et éclairant, devrait donc, par exemple, donner l'équivalent de ces offres en nombre d'emplois équivalent temps-plein, ou bien un nombre d'heures d'allocations chômage économisées et le montant correspondant. C'est ce que nous nous proposons de faire...
Mais avant de poursuivre, il est utile de clarifier les termes d'emploi vacant et d' emploi non pourvu (ou non satisfait selon le vocable en vigueur à Pôle emploi)...

Emploi vacant et emploi non pourvu...

Emploi vacant...
Telles qu'elles sont généralement entendues dans la littérature économique, les vacances d'emploi [ou emplois vacants, donc] correspondent aux postes ouverts à un instant donné faisant l'objet d'une recherche active de candidats. Il s'agit donc de la photographie d'un stock d'emplois à pourvoir. Ce stock peut être très important, sans pour autant être interprété comme la manifestation de difficultés de recrutement, ni comme le signe que les chômeurs sont réticents à occuper ces emplois. Il signifie simplement qu'un poste ne peut naturellement pas être pourvu le jour même de sa mise en vacance. Comme en France une trentaine de millions de nouveaux contrats de travail sont conclus chaque année (1), il est naturel qu'on observe à un instant donné un grand nombre d'emplois vacants. [...] D'ailleurs, dans l'analyse économique du marché du logement, un certain nombre d'études cherchent à déterminer le taux de logements vacants incompressible et nécessaire pour assurer la fluidité du marché.
(1) Estimation hors emploi public statutaire obtenue en additionnant les déclarations
uniques d’embauche (Acoss) et les relevés de mission d’intérim (Dares-Unedic). 
CEE Recherche.fr (consulté le 12/01/2012)

Emploi non pourvu...
Une partie des postes vacants fait l'objet d’une offre d’emploi, c'est-à-dire d'une demande adressée formellement au marché du travail par le biais d'une annonce, et plus ou moins largement diffusée. En France, Pôle emploi relaie une proportion importante de ces offres qui, dès lors, donnent lieu à un suivi. Le système d'information de l'opérateur public permet ainsi de déterminer si lorsqu'elles sont retirées, les offres qui lui ont été confiées sont ou non « satisfaites », selon sa terminologie. Ainsi, les offres d'emploi « non satisfaites » font a priori uniquement référence à celles qui sont confiées à l'opérateur public. Et on parlera plutôt d'offres « non pourvues » en référence à l'ensemble des offres d'emploi, déposées ou non à Pôle emploi.
CEE Recherche.fr (consulté le 12/01/2012)

A titre d'illustration, les 150 000 à 200 000 offres d'emploi proposées chaque jour sur le site Pôle emploi sont des emplois vacants, ce jour-là, et ne sont en rien un indicateur du nombre d'offres non satisfaites au sens offres d'emploi qui ne trouvent pas preneur. Rien ne nous dit en effet que ces postes ne seront pas pourvus une heure plus tard, le lendemain ou dans trois mois (1)...

(1) 30 % des offres seraient pourvues avant quinze jours.

Fabienne BRUTUS (2006), Chômage, des secrets bien gardés. J.-C. Glawsewitch Editeur, p. 35.

...ou encore annulés par l'employeur...
[...] Dans certains cas, l'employeur renonce à embaucher parce que le besoin à l'origine du recrutement a disparu. Une situation typique est celle de l'annulation d’une commande, qui aurait entraîné un surcroît d'activité et nécessité une embauche. Dans d’autres cas, le recrutement est interrompu par ce que l'employeur n'a pas trouvé le candidat souhaité dans les délais requis. On peut alors être en présence d'échecs de recrutement. Le système d'information de Pôle Emploi ne permet pas à l'heure actuelle de distinguer ces deux cas de figure, et donc de les quantifier. Assimiler offres d’emploi non satisfaites et difficultés de recrutement est ainsi abusif.
CEE Recherhce.fr (consulté le 12/01/2011)

Donc, outre le fait que le chiffre avancé de « 580 000 emplois vacants » (en réalité offres non satisfaites sur une année à Pôle emploi) est présenté en des termes trompeurs, la part qui relève d'un réel échec de recrutement par absence de candidat est forcément inférieure à ce chiffre, mais aucun indicateur ne permet de la quantifier.
Mais une autre réserve doit être évoquée maintenant. Sans même parler de la précarité souvent évoquée à propos de ces offres qui ne trouvent pas preneur, il se trouve qu'un certain nombre de ces offres... ne seraient pas des offres d'emploi...

Les offres parasites...

L'extrait qui suit répertorie les principaux types d'offres qui peuvent venir gonfler artificiellement le nombre d'offres enregistrées, et à fortiori non satisfaites...
Sourcing permanent de candidats (CVthèques) : la plupart des SSII recrutent sur mission [...], elles anticipent leurs futurs contrats en recevant les candidats à l’avance et en stockant leurs CV...
Offres démultipliées par les SSII dans la perspective d’un contrat de prestation ou en réponse à l’appel d’offre d’un client : il s’en suit un abandon des recrutements par tous les prestataires non retenus par le client…
Offres utilisées à des fins marketing et de surveillance du marché : elles sont porteuses de bonne image pour la société tant auprès des (futurs) candidats que des clients potentiels, elles permettent également de suivre le marché à travers les candidats reçus en entretien…
La même offre d’un employeur apparaît parfois plusieurs fois à travers plusieurs intermédiaires de recrutement [...]
Munci.org (consulté le 14/01/2012).

Ce type d'offres semblent concerner divers types d'émetteurs et non seulement les SSII pointées du doigt dans cet extrait, en particulier les agences d'intérim ou certaines entreprises dans des secteurs à fort turn-over.
Ici encore, aucun indicateur ne permet de chiffrer ou même d'évaluer la proportion de ces annonces "bidons" au sein de toutes les offres d'emploi enregistrées. 

Taux d'emplois vacants...

Supposons qu'il y ait bien cependant (pour une raison qui nous échappe) 580 000 emplois vacants en ce moment, toutes entreprises françaises confondues. Si nous les ajoutons aux 16 100 000 emplois du secteur marchand et à environ 300 000 emplois dans le secteur agricole...
Alternatives Economiques (Hors-série), Les chiffres 2012, p. 28.
Insee.fr (consulté le 01/02/2012)

...l'on obtient 17 000 000 d'emplois marchands environ en France. Le taux d'emplois vacants se chiffrerait donc à 3,4 %
En France, le taux des emplois vacants est un des plus faibles d’Europe, selon Eurostat : pas plus de 0,6 %, contre 0,9 % en Italie, 1 % en Suède et… 2,7 % en Allemagne.
Dechiffrages.blog.lemonde.fr (consulté le 25/01/2012)

Comparaison européenne des taux d'emplois vacants (2009)...




CNIS.fr (consulté le 25/01/2012)

Ces deux derniers chiffres, censément plus fiables que notre calcul (faut-il l'espérer tant une différence du simple au double laisse perplexe), méritent de surcroît d'être mis en regard du taux de vacance incompressible dans l'immobilier comme suggéré par une citation vue plus haut...
Sur le taux global d’inoccupation, l'Institut [de l’Epargne Immobilière et Foncière] note que selon les experts internationaux, le niveau "normal" de vacance, c’est à dire celui témoignant d'une fluidité satisfaisante du marché, ce que l'on appelle le taux de vacance incompressible, se situe dans une fourchette de 6 à 7%.
Le buzz immobiler.com (consulté le 14/01/2012)

A ce stade et en conclusion intermédiaire, il semble tout à fait raisonnable de considérer que le nombre d'emplois vacants en France ne soit pas tant un problème, qu'un état de fait inhérent au principe de l'offre et de la demande.
Mais comme dit en introduction de cet article, l'on pourra toujours objecter qu'un demi million de contrats de travail honorés seraient toujours mieux qu'un demi million d'offres non satisfaites. Alors terminons notre recherche...

Emplois équivalent temps plein...


Comme vu précédemment, les offres enregistrées à Pôle emploi portent sur toutes sortes de contrats et de durées. Les 580 000 offres sont donc statistiquement réparties comme suit :
  • 134 560 CDI à  temps complet.
  • 33 640 CDI à temps partiel (20 % des CDI seraient à temps partiel (1))
(1) Insee.fr (consulté le 14/01/2012)
  • 104 400 missions d'intérim de 8,7 jours (1) en moyenne (2 semaines (2) selon d'autres sources).
(1) Pôle emploi.org (consulté le 15/01/2012)
  • 307 400 CDD d'une durée moyenne entre 3 et 4 mois selon les sources.
Editions Tissot.fr (consulté le 14/01/2012)


Insee.fr (consulté le 14/01/2012)

A défaut d'informations directes plus fiables, nous déduisons de ce tableau la répartition des durées de temps partiel parmi les CDI et CDD à temps partiel. Par exemple, 17,8 % des CDD sont à temps partiel et 2,5 % d'entre-eux représentent moins de 15 heures par semaine...



En conclusion, certes approximative mais toujours plus représentative que les soit-disant 580 000 emplois vacants, le nombre d'emplois équivalent temps-plein non pourvus à Pôle emploi en une année se situerait entre 229 000 et 272 000.

Annexes...
Nombre de français âgés de 15 à 64 ans en France au 1er janvier 2011 : 42 millions.

Insee.fr (consulté le 11/01/2012)

A ces 42 millions est soustraite la population inactive (femmes au foyer, rentiers, retraités, étudiants, personnes en incapacité de travailler) pour obtenir la population active, qui est estimée, en 2010, à 28 189 000 personnes.

Nombres d'inscrits à Pôle emploi et d'allocataires du RSA non inscrits, en 2011...










(1) Activité réduite courte : moins de 78 heures le mois précédent.
(2) Au total, la prestation couvre près de 4,26 millions de personnes : 0,37 million de conjoints et 1,88 million d’enfants ou autres personnes à charge. 

Chomiste-land.com (consulté le 10/01/2012)
Le blog de Emmanuel Molinatti (consulté le 10/01/2012)
CNDP.fr (consulté le 10/01/2012)
Alternatives Economiques, Indicateurs, 01/2012, p.16.
CAF.fr (consulté le 11/01/2012)
Si l'on souhaite s'affranchir des méthodes de classement l'agence, au sens du Bureau International du Travail (BIT), le nombre de chômeurs en France en 2011 est chiffré à 2 624 000 soit une valeur proche du nombre de chômeurs de catégorie A du classement Pôle Emploi.
Insee.fr (consulté le 11/01/2012)
Notons enfin que parmi les "inactifs" en âge de travailler, qui sont ni retraités ou pré-retraités, ni étudiants, ni inaptes au travail, 13 % diraient vouloir travailler (d'après l'étude citée ci-dessous, réalisée en 2002) soit 660 000 (1) personnes environs aujourd'hui.
(1) En reprenant les rations de l'étude : 13 % des 37 % de la population inactive.
Insee.fr (consulté le 11/01/2012)
Maintenant, chacun peut déjà mieux se faire son idée du "réservoir" de chômeurs qu'il considère susceptible de pouvoir répondre aux emplois non pourvus proposés sur le "marché du travail". Le gouvernement ne prend en compte que les chômeurs de catégorie A. Ceux qui se sentent pleinement solidaires compteront généralement les 6 millions de chômeurs, augmentés peut-être des 660 000 personnes cachées parmi les inactifs qui souhaiteraient travailler. Les plus compatissants se concentreront peut-être, quant à eux, sur les 1 728 400 (1) chômeurs de longue durée (inscrits depuis plus d'un an), etc.
(1) Octobre 2011, catégories A,B et C, y compris DOM-TOM.
Alternatives Economiques, Indicateurs,  01/2012, p.16.

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