La couleur du pouvoir...

Où l'on se console en rappelant, qu'évidemment, de tout temps, pouvoir et argent ont toujours été étroitement liés... 
[...] Rome, puis le monde romain, était dirigés par une élite de quelques milliers d'hommes, regroupés en deux ordres (en quelque sorte nobiliaires, mais pas vraiment héréditaires), le Sénat [...] et l'ordre des chevaliers. 
[Leurs membres] n'étaient pas automatiquement recrutés parmi les plus riches des citoyens romains. Mais les uns et les autres devaient posséder un patrimoine (de terres, de bétail, d'esclaves [...]) qui leur permette de tenir leur rang sans travailler [...]. 
[...] Au Ier siècle avant J.-C., ils avaient besoin de dépenser beaucoup d'argent pour être candidats aux élections, à cause des dons qu'il fallait faire aux électeurs, ou à certaines catégories d'entre eux. Certains dons étaient considérés comme légaux, d'autres non. Jean ANDREAU (directeur d'étudesà l'EHESS), p. 14.
[... En France sous la monarchie], la culture politique de l'absolutisme, combinée à la culture financière du secret [...] reste dominante. Tandis qu'en 1694, les Anglais parviennent à convertir un groupe de financiers en actionnaires d'une banque de dépôt, capable d'alimenter le Trésor royal et de publier annuellement des comptes, [en France], l'échec de l'écossais John Law, provoque le retour en grâce des financiers
[Ceux-ci pratiquent] de substantiels jeux de caisse [...] sur le dos de la monarchie [qui n'a pas su mettre en place de réforme comptable sérieuse]. 
[...] Il faut rappeler que ces financiers avaient partie liée, socialement, avec les privilèges, peu enclins à faire évoluer un système fisco-financier dont ils se portaient caution et qui leur était si profitableMarie-Laure LEGAY (Professeur d'histoire à l'université Lille III), p. 27.
[...] Chargés des impôts indirects dont le roi leur déléguait la gestion par bail tous les cinq ans, [les fermiers généraux] firent tous des fortunes considérables. Comme le principe même du bail était de donner au roi un revenu fixe, et de reporter le risque lié aux fluctuations de la consommation sur les fermiers, tous les bénéfices, en période faste, allaient aux seuls fermiers, sous réserve d'un réajustement du montant du bail [...] ou de ponction inopinée par l'État qui se produisait relativement souvent. [...Cependant] nulle malversation dans leur activité [ne fut] reconnue dans les décrets de réhabilitation prononcés après la Révolution [qui guillotina plusieurs fermiers généraux]. Mireille TOUZERY, p. 29.
[...] En 1800, l'ambition des hautes banques parisiennes et l'intérêt de l'État convergent pour créer la Banque de France. Elle est instituée par un décret de Napoléon Bonaparte qui appuie l'initiative des financiers. 
[...] Les Deux-Cents [familles (les 200 plus gros actionnaires de la Banque de France)] élisent les régents au Conseil général. 
[...] La passivité de [cette] assemblée générale correspond à sa composition, faite en majorité d'investisseurs passifs (rentiers, propriétaires, ou retirés des affaires). Par contre, c'est du groupe minoritaire des entrepreneurs actifs que sont issus les régents. [...] Les régents sont indéfiniment rééligibles : ainsi les Vernes et les Mallets occupent le même siège de régent de 1800 à 1936 ! Yves LECLERC (Economiste, auteur), p. 37.
[...] De la monarchie de Juillet, née dans les hôtels cossus de deux régents de la Banque de France, Jacques Laffitte dirigera bientôt le gouvernement, avant d'être remplacé par Casimir Perier. Avec eux, c'est la haute banque parisienne qui triomphe : pour la première fois dans l'histoire de France, des financiers conduisent officiellement la politique du gouvernement. Charles GIOL, p. 39.
[...] Près d'un quart des députés du corps législatif en 1863 appartient aux milieux d'affaires : un record. A l'instar d'Eugène Schneider au Creusot, modèle de patron paternaliste et politique, les Wendel, Dietrich, Gros-Roman, Koechlin, Peugeot, Chagot, Boigues, etc. font vivre le pays, mais l'administrent également, relayant les autorités constituées, et pourvoient à ses besoins en logements, en églises, en écoles et en institutions protectrices. Nicolas STOSKOPF (professeur d'histoire), p. 42.
[...] La IIIe république a connu un enchaînement de scandales politico-financiers des années 1880 aux années 1930. [...] On trouve de nombreuses affaires similaires durant la même période dans les pays voisins. A l'échelle européenne, la mauvaise réputation de la IIIe République ne tient pas vraiment à des pratiques frauduleuses de pouvoir finalement assez répandues, mais bien davantage à la notoriété internationale de certaines affaires, qui ont symbolisées les nouveaux rapports déviants entre pouvoir et argent
[...] Le personnel politique provient pour partie [de nouvelles couches sociales]. [...] Chez plusieurs protagonistes de ces scandales, perçus comme des parvenus dans les affaires, une ascension sociale rapide peut attirer le soupçon [...]. [...] Les élites [d'origines diverses (entrepreneurs, financiers, ingénieurs...)] se fréquentent pourtant dans les salons, les salles de rédaction des journaux, au théâtre ou aux courses. Les sociabilités communes favorisent les services rendus et les petites affaires entre membres de réseaux informels, unis par des intérêts, des amitiés personnelles et des affinités politiques. 
[...] Le scandale des décorations qui touche en 1887 le président de la République Jules Grévy et son gendre Daniel Wilson, met en cause les principes d'égalité et d'émulation dans l'attribution des distinctions. 
[...] Dès les années 1880, l'imbrication des élites économiques et politiques assure stabilité et enracinement à la République. Mais cela rend difficile le partage entre intérêts privés et bien publics, autour des pratiques de favoritisme dans l'attribution de concessions, ou dans le soutient apporté par l'État à des entrepreneurs aux pratiques financières douteuses. C'est en achetant massivement journaux et parlementaires que la Compagnie de Panama obtient, en dépit des informations sur sa situation financière catastrophique, l'autorisation d'émettre des obligations à lots, procédure réservée jusqu'alors aux communes et au Crédit foncier. 
[...] La dénonciation de la corruption de la République, sert [surtout] de véhicule à des idéologies en plein essor, surtout l'antisémitismeFrédéric MONIER (spécialiste de l'histoire politique de la IIIe république), p. 50.
Le Nouvel Observateur, Hors-série, Le pouvoir et l'argent, 10-11/2012.

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