Selon
Alain TESTART, le fait que les femmes aient toujours été essentiellement cantonnées aux activités domestiques et à la cueillette, et exclues de la chasse, ne provient pas d'un choix rationnel...
L'anthropologie sociale américaine a depuis longtemps une explication à ce sujet, ce que l'on peut appeler la thèse de la mobilité. Les femmes font les enfants, et ensuite, allaitent longtemps, le sevrage n'étant pas effectif dans ces sociétés avant trois ans. [...] Embarrassées et encombrées qu'elles sont par cette marmaille et des grossesses répétées, elles ne seraient pas assez mobiles. [...] Puisque les femmes ne peuvent assurer tout le temps l'approvisionnement du groupe en gibier, il est plus simple de les spécialiser dans l'activité de cueillette, et de spécialiser les hommes dans celle de la chasse. Page 18.
A cela il rétorque...
Pourquoi en dehors [des périodes de grossesse et d'allaitement] ne feraient-elles pas la chasse ? Page 19.
Il est assez étrange que ces sociétés qui ne connaissent par ailleurs aucune sorte de division du
travail l'aient promue seulement en ce qui concerne les genres.
Page 19.
La chasse n'est pas toujours mobile [cas des Inuit postés près des trous d'air où viennent respirer les mammifères marins, chasse pratiquée exclusivement par les hommes]. Page 20.
En Australie, les femmes chassent les petits animaux. [...] En d'autres occasions, plus rares et moins remarquées, les femmes pratiquent certaines chasses au gros gibier [trois cas seulement]. Page 20.
Quelle est donc sa thèse ?
[...] Nous constatons chaque fois que lorsque les femmes font la chasse, elles la font sans les armes typiques de la chasse, sans harpons, ni arcs, ni flèches, ni sagaies. Mais lorsque ces armes sont indispensables, les femmes sont exclues de la chasse. Page 25.
[...] Les armes que n'utilisent pas les femmes sont celles qui font couler le sang des animaux. Page 25.
[...
Cette conclusion] évoque immédiatement les très nombreuses croyances, les interdits et les tabous, nombreux et variés, parfois hauts en couleur, qui entourent le sang des femmes dans presque toutes les sociétés de chasse et de cueillette, et même dans les sociétés d'hier de la vieille
Europe.
Page 26.
[...] Le contrepoint de cette affaire est le suivant : si l'un des deux écoulements sanglants fait défaut, il n'y a plus cumul, il n'y a plus de problème. C'est ainsi que la chasse non sanglante peut être féminine, ainsi que nous l'avons vu. Mais aussi : si la femme ne saigne pas, elle peut faire la chasse, même sanglante. Page 28.
[...
Ainsi,] la femme qui présidait à la chasse chez les
Grecs [
Artémis] n'était pas tout à fait une femme aux yeux de ces mêmes Grecs, elle ne connaissait ni le mariage ni l'enfantement, ni le sang de la virginité, ni le sang de la maternité.
Page 28.
[...] Ce n'est pas le sang en lui-même qui fait problème, ce n'est pas tant le contact avec le sang animal que les us et coutumes des peuples du monde entier cherchent à éviter, c'est le sang dans son jaillissement. Page 31.
[...] C'est
Jeanne d'Arc, dont il est significatif qu'elle était
"la Pucelle". Non seulement vierge, mais encore atteinte d'aménorrhée, ainsi qu'il est consigné dans les minutes de son procès. Et la conclusion est la même que pour Diane chasseresse : quand, en la femme, le sang ne coule pas, elle peut, comme les hommes, faire couler le sang.
Page 36.
Alain TESTART, L'amazone et la cuisinière, Gallimard, 2014.