Je classe cet essai (avec son second opus Homo Deus) parmi les meilleurs (disons les 20) qu'il m'ait été donné de lire.
Cherchant à me rassurer sur la justesse de cette impression, je suis allé voir un peu quels sont les arguments de ceux qui ne partagent pas cet avis.
Ce blog est né du rejet des travers (quasi) systématiques du web : conformisme, sectarisme, agressivité, diffamation, etc. Les critiques qui suivent ne font hélas, pour la plupart, que confirmer ce lieu commun...
Cherchant à me rassurer sur la justesse de cette impression, je suis allé voir un peu quels sont les arguments de ceux qui ne partagent pas cet avis.
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Cas #2 - La critique scientifique...
Parmi les critiques enrichissantes, voici homofabulus.com. Le site d'un jeune anthropologue. Passons les critiques positives et plongeons directement dans les points négatifs...
Où sont les références ??? Le bouquin fait 500 pages et il doit y avoir en tout et pour tout une cinquantaine de références, alors même que des idées nouvelles sont introduites toutes les 2 lignes.Ah ben si les idées sont nouvelles, peut pas y avoir de précédent ! :) Je plaisante...
Les références sont en plus très souvent des livres, qui ne sont donc pas passés par le système d’évaluation par les pairs, et dans lesquels les chercheurs prennent parfois plus de libertés dans leurs interprétations des faits.Je considère pour ma part que ce livre est justement une interprétation des faits. L'interprétation d'Harari. Est-elle rigoureuse scientifiquement ? Peut-être pas. Pourquoi ne pas plutôt assimiler son travail à une hypothèse (redoutablement efficace !) que la science devrait valider ou invalider ?
Yuval Harari mélange des idées qui sont assez bien acceptées par la communauté scientifique avec des idées beaucoup plus débattues, sans évidemment faire la distinction entre les deux. Par exemple, une des idées centrales de Sapiens c’est qu’on a créé les religions pour pouvoir coopérer à large échelle, c’est l’idée des Big Gods, mais c’est une idée loin d’être acceptée par tout le monde. Mais ça, si ce n’est pas dit, faut être chercheur dans le domaine pour le savoir.Le terme "religion" est à manier avec précaution. Harari parle plutôt (surtout depuis Homo Deus) de "réalités intersubjectives". Celles-ci peuvent être des religions, mais aussi des mythes, des croyances, des idéologies, des concepts, etc. La théorie des Big Gods est très orientée religions monothéistes visiblement (je ne suis pas spécialiste) et lorsqu'on cherche sur Internet des alternatives à la théorie des Big Gods, on trouve par exemple ceci...
A New Zealand research team now says that these societies were already well on their way before “big gods,” came along. Instead, it was fear of supernatural punishment that kept everyone in line, they suggest. These included punishments from mighty gods, “fallible localized ancestral spirits,” and even, “inanimate processes like karma.” Bigthink.comCette alternative semble impliquer également des "réalités intersubjectives" ce qui n'invalide pas le récit d'Harari.
Mais on trouve aussi ceci...
[...] Evolutionary biologist Mark Pagel contends that the development of language and not religion, spurred complexity. Bigthink.comLà, ce n'est plus de la réalité intersubjective mais simplement le langage. Intéressant. Encore qu'on a du mal à voir comment le langage seul, sans les concepts et donc les mythes qu'il peut inventer et porter, puisse fédérer plus. Mais j'admets que ce n'est pas là un raisonnement scientifique...
Quoi qu'il en soit, on peut accorder à Homofabulus qu'Harari n'est effectivement pas du genre à pondérer son propos de "selon moi", "il est probable", "on peut supposer", "on peut faire l'hypothèse", etc. Il semble très sûr de lui...
Homofabulus poursuit...
Ailleurs, on apprend qu'”en période faste, les femelles arrivent à la puberté plus tôt”, ah bon, il me semblait que c’était plutôt l’inverse, mais si ce n’est pas le cas partout je veux bien les références.Un extrait de l'article auquel Homofabulus fait référence...
Et c’est en effet ce qu’on observe dans un grand nombre d’espèces de mammifères : plus la mortalité locale est élevée, plus les individus suivront une stratégie d’histoire de vie dite “rapide” (reproduction en quantité plus qu’en qualité, et reproduction précoce plutôt que tardive).
[...] Les mêmes effets se présentent-ils chez l’Homme ? Et bien très probablement oui. L’espérance de vie des habitants d’un pays est un très bon prédicteur de l’âge qu’ont les femmes à leur première grossesse. Dans un échantillon de sociétés traditionnelles, il a été montré que chaque diminution du taux de survie infantile de 10% entraînait une réduction de l’âge à la première naissance des femmes d’un an. Homofabulus.comOn trouve effectivement pléthore de publications scientifiques faisant état d'une corrélation directe entre taux de mortalité infantile et âge de la puberté.
[...] La faim favorise la mortalité et surtout la post-néomortalité qui stimule indirectement la natalité et l'accroissement naturel. MemoireOnline.comMais attention, le taux de mortalité infantile n'est pas nécessairement lié au "faste", ou pas, d'une période... Si l'on regarde ce qui se dit plutôt sur la relation entre nutrition et puberté...
[...] Severe primary or secondary malnutrition also can delay the onset and progression of puberty. NCBI
In the developing world undernutrition often starts during fetal life due to maternal malnutrition, resulting in infants with low birth weight. Their postnatal life is frequently associated with growth retardation as well as delayed pubertal development. NCBI.L'hypothèse d'Harari ne semble donc pas totalement dénuée de sens. On accordera à Homofabulus que la prose d'Harari a plus la forme d'une affirmation que celle d'une hypothèse.
Le blogueur poursuit...
Pourquoi l'idée d'instinct à diviser l'humanité en deux me semble évidente:
- Cette notion du Moi et Eux est une étape fondamentale du développement de l'enfant : les premiers mois, l'enfant ne fait pas la différence entre ce qui est lui et ce qui est le reste, les autres
- Nous sommes tous naturellement plus enclins à aider, protéger nos proches que des étrangers, nous manifestons plus d'empathie envers nos proches.
- Nous sommes tous d'abord méfiants voire craintifs dans certaines circonstances quand nous rencontrons des étrangers.
- Ces sentiments et comportements sont vrais à toutes les échelles sociales : proches vs voisins, puis voisins vs village, puis village vs autres autres villages, etc. jusqu'à (pour l'époque moderne) nation vs autres nations par exemple.
Les explications sont assez souvent simplistes et très tranchées. Par exemple, p. 233, “L’évolution a fait de l’Homo sapiens, comme des autres mammifères sociaux, une créature xénophobe. Sapiens divise d’instinct l’humanité en deux : “Nous” et “Eux””. Au risque de me répéter : références ?La méfiance d'Homofabulus face à une telle affirmation surprend tant ce que dit Harari semble une évidence. L'approche scientifique du blogueur est tout à fait respectable en ce sens u'elle permet souvent de contredire les "impressions" empiriques.
Pourquoi l'idée d'instinct à diviser l'humanité en deux me semble évidente:
- Cette notion du Moi et Eux est une étape fondamentale du développement de l'enfant : les premiers mois, l'enfant ne fait pas la différence entre ce qui est lui et ce qui est le reste, les autres
- Nous sommes tous naturellement plus enclins à aider, protéger nos proches que des étrangers, nous manifestons plus d'empathie envers nos proches.
- Nous sommes tous d'abord méfiants voire craintifs dans certaines circonstances quand nous rencontrons des étrangers.
- Ces sentiments et comportements sont vrais à toutes les échelles sociales : proches vs voisins, puis voisins vs village, puis village vs autres autres villages, etc. jusqu'à (pour l'époque moderne) nation vs autres nations par exemple.
Sebastian Haffner montre comment la "camaraderie" a été pour les nazis un redoutable outil pour faire du "Nous contre Eux" >> On pourra objecter qu'il ne s'agit plus tant ici d'"instinct" que de construction sociale, de réalité intersubjective...)
Mais rien de ceci ne constitue de preuve scientifique, ma foi. Je n'ai pas pu trouver d'article sur le sujet...
Revenons aux critiques...
Le livre est bourré de références religieuses là où on ne les attend pas, ce qui est très surprenant pour un livre scientifique. [...] Généralement un style d’écriture particulier comme celui-ci trouve son explication dans la biographie de l’auteur : Wikipedia me murmure à l’oreille que le livre a été publié en Israël une première fois en 2011, avant d’être repris à l’international : peut-être qu’Harari avait écrit son livre avec en tête un public particulier à la base.Homofabulus me paraît ici paranoïaque. L'extrait qu'il choisit lui-même, illustre ce procédé qu'Harari utilise très souvent pour nous amener à réfléchir...
[…] Apprendre l’anglais à un ancien Sapiens, le persuader de la vérité du dogme chrétien, ou l’amener à comprendre la théorie de l’évolution eût probablement été sans résultat.
Harari balaie large : du langage, de la science, et pourquoi pas de la religion au passage ?
Autre extrait cité par le blogueur :
Lirait-on dans le livre de la Genèse que les Neandertal descendent d’Adam et Ève ? Jésus serait-il mort pour les péchés des Denisovien ?Mais il ne cite pas tout. L'extrait exact est...
Par exemple, comment les confessions religieuses se seraient-elles développées ? Lirait-on dans le livre de la Genèse que les Neandertal descendent d’Adam et Ève ? Jésus serait-il mort pour les péchés des Denisovien ? Et le Coran eut-ils réservé des places au Ciel pour tous les justes, quelle que fût leur espèce ? Page 29.Mais Harari, comme dans l'exemple précédent, poursuit en jouant sur plusieurs thèmes...
Les Neandertal auraient-ils pu servir dans les légions romaines ou la bureaucratie tentaculaire de la Chine impériale ? La Déclaration d'indépendance américaine affirmerait-elle comme une évidence que tous les membres du genre Homo sont créés égaux ? Karl Marx eût-il appelé à l'union des prolétaires de toutes les espèces ? Page 29.Harari excelle à ce jeu et c'est souvent à la fois drôle et interrogateur donc instructif. Au-delà de ces extraits, Harari parle effectivement beaucoup de religion. Mais c'est justement le sujet du livre : les religions ont probablement été les réalités inter-subjectives qui ont le plus conditionné l'Histoire.
Homofabulus poursuit...
Sapiens sombre parfois dans l’ésotérisme, et il faut se gratter la tête plusieurs fois avec une branche de houx pour comprendre ce que l’auteur a bien voulu dire. Par exemple, p. 136, quand l’auteur essaie de “traduire en langage biologique” le passage de la Déclaration d’indépendance des États-Unis.Il est vrai que ce passage est un peu tiré par les cheveux. Mais Harari se sert de cet exercice pour illustrer sa thèse. Il en conclut :
Cette forme de raisonnement ne manquera pas de scandaliser les tenants de l'égalité et des droits de l'homme, qui rétorqueront sans doute : "Nous savons bien que tous les hommes ne sont pas égaux biologiquement ! Mais si nous croyons que nous sommes tous foncièrement égaux, cela nous permettra de créer une société stable et prospère." Je n'ai pas d'objection. C'est exactement ce que j'appelle "ordre imaginaire". Nous croyons à un ordre particulier : non qu'il soit objectivement vrai, mais parce u'y croire nous permet de coopérer efficacement et de forger une société meilleure. Page 138.Dernière critique...
Le livre se veut être une synthèse mais ressemble bien plus souvent à une collection d’anecdotes. Et vas-y que je saute du coq à l’âne, du saumon à la girafe, et du saucisson à l’ail. On se perd dans des digressions qui font oublier le sujet du chapitre [...]. Je n’aime pas les gens qui parlent pour ne rien dire, et ces digressions incessantes m’ont rendu la lecture du livre très difficile en plus de me faire douter de l’objectif de l’auteur. Au lieu d’appeler son livre “Sapiens, une brève histoire de l’humanité”, Harari aurait pu choisir “Sapiens, une longue collection d’anecdotes sur l’humanité”.C'est pas faux. C'est aussi ce foisonnement d'anecdotes et de connaissances que beaucoup de lecteurs apprécient. Homofabulus le dit un peu lui-même dans les aspects positifs du livre en introduction de son article !
Le livre passe en revue et fait la synthèse d’une masse énorme de données et d’idées dans des disciplines diverses comme la biologie, l’anthropologie, l’économie, l’histoire…Sa conclusion...
Un livre sur un sujet passionnant et dont l’entreprise de synthèse était louable, mais un livre au final assez peu sérieux sur le plan scientifique. J’ai l’impression d’avoir lu le livre de quelqu’un de très curieux et qui aurait lu tous les livres qu’il pouvait sur un sujet, en essayant ensuite de coucher sur le papier ses souvenirs, donnant du sens à différentes anecdotes sans se préoccuper de vérité scientifique. Au fond, je n’ai lu nulle part qu’il s’agissait d’un livre de vulgarisation scientifique : peut-être est-ce ainsi qu’il faut le classer, comme une fiction basée sur une histoire vraie.Je dirais pour ma part...
Le livre de quelqu'un de très curieux et cultivé qui, sur la base des connaissances actuelles, propose une vision foisonnante et cohérente de l'Histoire de l'humanité.
Aux chercheurs d'infirmer ou confirmer ces hypothèses !
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