[Bryan Caplan, professeur d'économie à l'université George Mason], pense que [les] idées fausses [des votants à propos des enjeux de société], engendrent des politiques néfastes pour la société dans son ensemble. Si le gouvernement adopte de mauvaises mesures, pensons-nous généralement, c'est parce que le système fonctionne mal, et il fonctionne mal parce que les électeurs sont mal informés, sensibles à la démagogie, ou que des groupes de pression viennent contrarier l'intérêt général. Caplan pense que tout ceci est inhérent à la démocratie : non pas des anomalies du processus, mais ce que l'on peut attendre d'un système conçu pour satisfaire les désirs du peuple. "La démocratie échoue, affirme-t-il, parce qu'elle fait ce que veulent les électeurs".
La plupart des gens [aux Etats-Unis en tout cas...] ne pensent tout simplement pas en termes politiques. Par exemple, ils ne comprennent pas qu'on ne peut à la fois être favorable à une baisse des impôts et souhaiter une augmentation des dépenses publiques. [...] Si l'on demande aux gens s'ils approuvent une hausse du budget de la protection sociale, la plupart répondront non ; si on leur demande s'ils soutiennent une augmentation de l'aide aux démunis, la plupart répondront oui.
[...] James Surowiecki [a montré] dans La Sagesse des foules [JC Lattès, 2008], [qu'] un grand nombre de personnes dotées de connaissances partielles et de degrés variés d'intelligence et d'expertise, obtiendront ensemble de meilleurs résultats, ou des résultats plus exacts, qu'un petit nombre d'experts très intelligents de même sensibilité. C'est ainsi que fonctionnent les marchés financiers, mais cela peut s'appliquer à bien d'autres domaines : évaluer les chances de gain dans un pari sportif ou deviner le nombre de bonbons dans un bocal.
[...] Le non-économiste type ne comprend pas ou n'apprécie pas la façon dont les marchés fonctionnent (il est par conséquent favorable à la régulation et méfiant envers la recherche du profit), n'aime pas les étrangers (il a donc tendance à être protectionniste), assimile la prospérité à l'emploi plutôt qu'à la production (il surévalue donc la sauvegarde des emplois existants), et pense généralement que la situation économique ne fait qu'empirer (il est donc partisan de l'intervention de l'Etat).
[...] Nous sommes tous soumis à des biais cognitifs. Le plus puissant étant sans doute celui que Daniel Kahneman appelle l'illusion de validité [...]. Illusion aussi courante qu'élémentaire : nous avons tendance à surévaluer notre propre jugement. Sans doute parce qu'il est plus rassurant de penser qu'on voit juste plutôt que le contraire. Ce travers doit être rapproché d'un autre, le biais de confirmation, la tendance à rechercher ou interpréter des informations qui renforcent ce que l'on pense déjà.
[...] Ces deux phénomènes font intervenir ce que le psychologue Leon Festinger nomma la dissonance cognitive : nous fuyons les faits et les idées susceptibles de nous déranger. A cela une explication rationnelle, avance le physicien Freeman Dyson [...] ; dans la vie quotidienne, penser est ce qui coûte le plus cher en énergie ; notre intérêt est donc de le faire le moins possible.
[...] La plupart des gens, même si on leur expliquait quel est le choix économiquement rationnel, rechigneraient à le faire car ils attachent de la valeur à d'autres choses, en particulier, ils veulent se protéger contre les inconvénients du changement. MENAND L. (2007, New Yorker), p. 25.
Les recherches de politologues comme Diana Mutz indiquent que la prise en compte des différents aspects d'un problème est inversement proportionnelle à l'engagement. Plus on essaie d'envisager le point de vue de l'autre, moins on a tendance à être actif. Si l'on veut un électorat politiquement engagé, il faut sans doute renoncer en partie à la qualité du débat. OWEN L. (2008, Brain), p. 67.
Books, Pourquoi voter ? 04/2012.
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