Dans son principe, comme dans son origine historique, la représentation est le contraire de la démocratie. La démocratie est fondée sur l'idée d'une compétence égale de tous, et son mode normal de désignation est le tirage au sort, tel qu'il se pratiquait à Athènes afin d'empêcher l'accaparement du pouvoir par ceux qui le désirent. La représentation, elle, est un principe oligarchique : ceux qui sont ainsi associés au pouvoir représentent non pas une population mais le statut ou la compétence qui fonde leur autorité sur cette population : la naissance, la richesse, le savoir, ou autre. Notre système électoral est un compromis historique entre pouvoir oligarchique et pouvoir de tous : les représentants des puissances établies sont devenus les représentants du peuple, mais, inversement, le peuple démocratique délègue son pouvoir à une classe politique créditée d'une connaissance particulière des affaires communes et de l'exercice du pouvoir. Les types d'élections et les circonstances font pencher plus ou moins la balance entre les deux. L'élection d'un président comme incarnation directe du peuple a été inventé en 1848 contre le peuple des barricades et des clubs populaires, et réinventé par De Gaulle pour donner un "guide" à un peuple trop turbulent. Loin d'être le couronnement de la vie démocratique, elle est le point extrême de la dépossession électorale du pouvoir populaire au profit d'une classe de politiciens dont la fraction opposée partage tour à tour le pouvoir des "compétents".
Propos de Jacques RANCIERE recueillis par Eric AESCHIMANN,
Le Nouvel Observateur, 04/2012, p. 102.
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