Sous la surface de nos opinions, nos croyances et nos certitudes, les forces de la culture poussent et pressent au-delà de tout ce que nous pouvons imaginer. Comme le dit Claude Lévi-Strauss, "l'anthropologie révèle que ce que nous considérons comme "naturel", fondé sur l'ordre des choses, se réduit à des contraintes et à des habitudes mentales propres à notre culture".
Petit tour de la perception de l'insémination dans différentes cultures...
Petit tour de la perception de l'insémination dans différentes cultures...
[...] L'insémination avec donneur a son équivalent en Afrique, au Burkina Faso [...]. Dans cette société, chaque fillette est mariée de très bonne heure, mais avant d'aller vivre chez son époux elle doit, pendant trois ans au plus, avoir un amant de son choix et officiellement reconnu pour tel. Elle apporte à son mari le premier enfant né des oeuvres de son amant, mais qui sera considéré comme le premier-né de l'union légitime.
[...] Dans d'autres populations africaines [...] un homme marié dont la femme est stérile peut, moyennant paiement, s'entendre avec une femme féconde [...]. En ce cas, le mari légal est donneur inséminateur, et la femme loue son ventre à un autre homme, ou à un couple sans enfant.
[...] Au Tibet, [...] plusieurs frères ont en commun une seule épouse. Tous les enfants sont attribués à l'aîné, qu'ils appellent père. Ils appellent oncle les autres maris. Dans de tels cas, la paternité ou la maternité individuelle sont ignorées, ou l'on n'en tient pas compte.
[...] Les Nuers du Soudan assimilent la femme stérile à un homme. En qualité d'"oncle paternel", elle reçoit donc le bétail représentant le "prix de la fiancée" payé pour le mariage de ses nièces, et elle s'en sert pour acheter une épouse qui lui donnera es enfants grâce aux services rémunérés d'un homme, souvent un étranger.
[...] Chez les Yarubas du Nigeria, des femmes riches peuvent, elles aussi, acquérir des épouses qu'elles poussent à se mettre en ménage avec un homme.
[...] Dans tous les cas, des couples formés de deux femmes et que, littéralement parlant, nous appellerions homosexuels pratiquent la procréation assistée pour avoir des enfants dont une des femmes sera le père légal, l'autre la mère biologique.
[...]Les sociétés sans écriture connaissent aussi des équivalents de l'insémination post mortem [...]. Une institution attestée depuis des millénaires (car elle existait déjà chez les anciens Hébreux), le lévirat, permettait et même parfois imposait que le frère cadet engendre au nom de son frère mort.
[...] Chez les Nuers soudanais dont j'ai parlé, si un homme mourait célibataire ou sans descendance, un parent proche pouvait prélever sur le bétail du défunt de quoi acheter une épouse. Ce "mariage fantôme" comme disent les Nuer, l'autorisait à engendrer au nom du défunt, puisque ce dernier avait fourni la compensation matrimoniale créatrice de la filiation.
[...] Toutes ces formules offrent autant d'images métaphoriques anticipées des techniques modernes. Nous constatons ainsi que le conflit qui nous embarrasse tellement entre la procréation biologique et la paternité sociale n'existe pas dans les sociétés qu'étudient les anthropologues. Elles donnent sans hésiter la primauté au social, sans que les deux aspects se heurtent dans l'idéologie du groupe ou dans l'esprit des individus.
Claude LEVI-STRAUSS, L'anthropologie face aux problèmes du monde moderne, Seuil, 2011, p. 69.
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