Monsieur le Président, votre réponse à A.-J. Holbecq me parait pour le moins insatisfaisante. Vous répondez à celui-ci comme si la masse de monnaie fiduciaire ne devait pas être accrue. Vous parlez de la nécessité de remboursement d'une "
dette" comme d'une évidence, alors qu'en l'espèce, la notion de dette, purement comptable, renvoie à une planification qui ne suppose pas nécessairement un remboursement complet, suivant l'évolution de la
croissance escomptée (du moins observée) et suivant la
politique fiscale conduite ensuite, encore moins des
intérêts versés par nous à des prêteurs privés. Vous négligez de rappeler un théorème élémentaire : quand on vise une
inflation nulle, la création monétaire souhaitable n'est pas nulle, mais égale à la croissance du
PIB (anticipée ou supposée courante). Il faut donc que quelqu'un crée cette monnaie. Or, le bon sens veut que ce soit le pouvoir le moins incontrôlé parmi ceux supposés être au service du peuple qui le fasse. Et que le régime monétaire soit conforme à la constitution, qui interdit les privilèges. Vous n'ignorez pas que la constitution française (art. 34), comme celle des États-Unis (I sect. 8) confie (confiait) au parlement élu au suffrage universel le contrôle du régime d'émission de la monnaie. Au lendemain du 4 janvier 1973, le Parlement pouvait au moins revoir sa loi, ce pourquoi le Conseil constitutionnel a admis (en 1994) qu'un tel transfert était conforme à la constitution. Mais dans le cadre de l'
Union européenne, il ne le peut plus en pratique, sauf à décider que la France sorte purement et simplement de cette entité intergouvernementale mutée en confédération qui viole les règles élémentaires de la séparation des pouvoirs (sans parler de souveraineté populaire). En tant que membre du Conseil constitutionnel, en tant d'ancien garant de la continuité de l'État, comment pouvez vous tolérer une situation ou la "séparation des pouvoirs", qui signifie leur arrêt mutuel, soit traduite en pure indépendance politique ? Vous ne rappelez pas non plus un fait évident que vous ne pouvez pas ignorer (et plus dénoncer, il est vrai) : de manière chronique, depuis sa création, la
BCE émet environ 10% de monnaie supplémentaire par an, ce qui est assez considérable, au demeurant. Manifestement, la rigueur ne vaut que pour la politique budgétaire. Vous savez aussi, sans doute, que la Banque de France en dit que la part superflue de l'émission gonfle les bulles spéculatives, financières et immobilière. De fait, depuis des années, le
crédit bancaire et, plus généralement, le volume des titres dérivés de la monnaie, est en croissance effrénée. Or, le résultat en termes d'inflation, on le voit quand ces bulles explosent : les financiers les plus équipés courent vers les valeurs "refuge" (celles qui font manger le peuple et produire). La partie de votre réponse qui me parait être pertinente - relative au projet de marché des titres (traduisons : des dettes) - me parait effrayante, tant elle suppose la
résignation (il y a 35 ans déjà) du
politique face au projet global d'un marché supposé pur réglant toute chose, économique, politique et sociale. En somme, l'État et le privé se sont accordés pour faire de la
monnaie une
marchandise, dont la valeur ne serait plus fixée, désormais, que par la loi de l'offre et de la demande. Une loi que ne viendrait plus perturber un "interventionnisme"... qui consistait depuis longtemps, pour l'État, a émettre une quantité marginale de la monnaie, tandis que les banques commerciales émettaient "le reste". Le record de la part d'émission d'origine publique, il me semble, a été établi par le général
De Gaulle. Cette part (la seule légitime à mon sens) a été très variable, et très souvent bien faible. La
Banque de France était d'ailleurs, depuis son origine et plus d'un siècle durant, une Banque privée, dont les propriétaires reçurent de la part de
Napoléon le privilège inouï que confère l'exclusivité du pouvoir de battre la monnaie qui seule a cours légal et forcé. Pour finir, il semblerait que le propos de A.J. Holbecq et l'inadéquation de votre réponse trouvent une illustration frappante dans ce passage lu dans Le Monde Diplomatique, (n° 652, juillet 2008, page 7) : " …l’un des plus célèbres emprunts d’État fut l’
emprunt Giscard (…). Pour 6 milliards de francs empruntés en 1973, l’Etat a finalement remboursé au total (montant initial plus intérêts) 80 milliards de francs en 1988.