Je vous disais que les enfants avaient de grandes facilités à apprendre de nouvelles langues. Mais à partir de l'âge de sept ans, cela devient beaucoup plus difficile. L'adaptation à l'autre par l'intermédiaire de la langue, est devenu si étroite, qu'elle représente un obstacle à l'appropriation d'une nouvelle langue. Et il en est un peu de même de la capacité de reconnaissance des visages. [...] Des bébés âgés de six mois sont capables de distinguer un grand nombre de visages différents. Mais dès l'âge de trois mois, leur capacité de reconnaissance a déjà commencé à se focaliser sur les caractéristiques des visages auxquels ils sont fréquemment exposés. A partir de neuf mois, un bébé élevé en Chine par exemple, ne fait plus la distinction entre plusieurs visages d'enfants européens s'il n'y a pas été exposé. Ces visages vont avoir tendance, pour lui, à tous se ressembler. Et ainsi, la population humaine qui nous entoure pendant notre petite enfance, nous apparaîtra composée de personnes toutes singulières, uniques, particulières, à nulle autre pareille, alors que des visages issus de populations différentes par certaines de leurs caractéristiques physiques, auront tendance à être appréhendés comme étant composés de personnes identiques, interchangeables, favorisant ainsi les stéréotypes, les généralisations, les stigmatisations, les discriminations sur des critères de différence physiques ou culturelle.Et il en est de même au niveau du langage parlé. Le petit enfant s'appropriera sa langue, et non seulement il ne comprendra pas la signification des autres langues, mais il aura tendance progressivement à ne plus les considérer comme des langues, voire à les considérer comme des bruit. D'où l'expression des grecs de l'antiquité pour désigner les étrangers, les "barbares". Il leur semblait que les étrangers ne savaient pas parler. Qu'ils n'avaient pas de langue mais seulement la capacité d'articuler des sons forcément sans signification puisque ce n'était pas du grec : "bar-bar-bar-bar-bar".L'oubli est une dimension essentielle de l'apprentissage. Et pour cette raison, tout apprentissage, toute éducation, devrait être aussi un apprentissage de la richesse de ce que nous avons perdu en nous appropriant l'univers culturel qui nous entoure.
Jean-Claude AMEISEN, France Inter, Sur les épaules de Darwin, 24/11/2012.
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